mercredi 3 juin 2015

Merci Corey Crawford

Par Franc Laplante
3 juin 2015

C’est la coupe Stanley. Ceux qui me liraient de l’Europe, France, Belgique, Suisse ou d’ailleurs qu’en Amérique du Nord, je vous le dis sans méchanceté aucune, vous ne pouvez pas avoir la moindre idée. Vous me parlerez du Mundial ou du (défunt) GP de France, des 24h du Mans ou du championnat mondial/Olympique de Hockey même. Na. Désolé. Tous ces autres évènements sportifs sont gigantesques, prenants, passionnants, mythiques mêmes, oui, sans hésitations. Mais la Coupe, … c’est LA Coupe.

Et je ne prétends pas que le monde entier vibre au même diapason. Peut-être certains peuples, ou une part de ceux-ci vont-ils, encore plus grâce à Internet d’ailleurs (http://www.cbc.ca/sports/hockey/nhl Hockey Night in Canada, pour voir les parties en direct, gratis …), participer à la transe où la considérer avec plus de détachement, de loin. D’ailleurs, admettons que c’est à peine si les États-Unis, lieu même de ces parties de hockey, a conscience de l’évènement. Une part seulement de sa population y prend intérêt. Non, il s’agit du Canada, il faut l’admettre. Aucune des équipes de cette finale 2015 ne représente une ville canadienne, mais les équipes de Tampa Bay et Chicago vont avoir un auditoire fiévreux passionné ici au Québec et ailleurs dans le ROC. Oui, une part qui diminue, mais une grande part quand même de ces joueurs vient du Canada, y est née ou y a joué en transit des pays de l’Est ou même des États. Le repêchage, le gros, considère en majeure partie des joueurs provenant des ligues junior canadiennes. L’argent du Hockey de la NHL (National Hockey League) vient et se fait ailleurs mais le « show » a une teinte canadienne indélébile.

Et cette teinte nous représente plus qu’on ne le voudrait sans doute. Elle reflète même, fortement, le nationalisme québécois, un élément que des étrangers remarqueront mais que nous ne voyons plus. Et paradoxe, en même temps qu’on y reconnait le nationalisme et le particularisme du Québec et de son origine, on y voit bien le nationalisme canadien, sa dualité fondatrice (anglais-français) mais aussi son multiculturalisme quand des noms définitivement étrangers se distinguent sur la glace et qu’on sait qu’ils sont nés ici de parents immigrants. On pourrait pratiquement dire que le hockey de la NHL, c’est le Canada dans sa réalité. On va dire que j’exagère, que je dérape. En tout cas, c’est une proposition.

La coupe Stanley, un 4 de 7 entre les finalistes de la ligue nationale (NHL ), après une saison de 80 matches et des séries éliminatoires entre les 16 meilleures équipes. Une partie de hockey, c’est un exercice épuisant. Et pour la majorité de ceux qui prennent contact avec ce sport pour la première fois ou qui en entendent parler de loin, ce sera l’exigence physique et les risques de blessures qui retiendront l’attention. Un joueur peut atteindre 30 km/hr et plus en patin, s’il rencontre un opposant qui évolue en sens contraire à la même vitesse, c’est l’équivalent du choc d’un cycliste qui frappe le sol entre 60 et 80 km/hr … Et il faut se relever pour poursuire le jeu au plus tôt ou se rendre au banc pour se faire remplacer. Pas évident. Il y a les patins, il y a les bâtons, il y a la rondelle projetée à plus de 100 km/hr, il y a les bandes. Les amateurs de hockey connaissent très bien la liste des blessures possibles dépendant des situations. Souvent ils les connaissent pour avoir joué eux-mêmes et s’être blessé ou avoir vu leurs copains y goûter.

Tous ces risques sont-ils utiles, ont-ils un sens ?

Pour ma part, et j’ai peut-être tort, je n’ai qu’une seule réponse : essaie pour voir, tu m’en reparleras.

On grandi entouré du hockey, ici au Québec. On en parle même l’été, on joue même l’été (avec une balle sur une surface dure ou dans sur des glaces d’arénas). Dès que tu parles et que tu prends conscience du monde, tu te retrouves avec un bâton dans les mains et les mononcles te lancent la « puck » (rondelle) : Envoye, envoye, frappe dessus ! Tu les vois, les samedis soirs, entassés autour de la télé, une bière à la main, devenir de vrais démoniaques, visages tendus, exclamations, se lèvent brusquement, sautent, tapent sur le divan ou la lampe ou le mur, hurlent, de dépit ou de joie. Sur un but (du bond bord s’entend), une joie, une euphorie triomphante, une exaltation mystique qui participe à tout ce qui semble essentiel (du moins à ce moment) dans l’univers. Après ça le déluge ! Kill me now !

Donc, c’est vrai, la plus grande partie du monde, ne participe pas à ce délire, et beaucoup croient vivre quelque chose d’équivalent, et même largement supérieur, lorsqu’ils vivent le Mundial du foot, mais, Na. Et comprenez moi, je sais qu’on se bat (et qu’on se tue) dans les estrades de foot, que la fierté nationale (ou continentale) est en jeu, à tous les 4 ans, que même le Pape en parlera. Je sais, c’est gros et peut-être même plus.

Mais non, l’électricité n’est pas la même, la « vitesse » n’est pas la même, le défi, l’habileté, la stratégie, le génie n’est pas le même. Quant au baseball, même au football américain (ce qui vient en 2e position derrière le hockey pour moi), c’est fascinant et prenant mais quand tu es né dans le hockey, tu deviens comme insensible.

Et je parlais des risques et d’une justification. Il y en a peut-être une autre, importante.

Le hockey, certains n’y voient que de la lutte, un pugilat sur patin. Pour le canadien et le québécois pure laine, y compris le Cardinal Ouellet (qui rirait de me lire), ce qui se rapproche le plus du hockey, ce sont les Échecs. Hu!

Le hockey, c’est une partie d’échecs où les pièces prennent vie et sont capables de créativité. Essentiellement. Et le facteur vitesse vient, un peu comme dans ces parties d’échec avec limite de temps, bouleverser l’affrontement stratégique. Il faut que tu penses et que tu penses vite, mais aussi que tu réussisses à exécuter ce que tu as dans ta tête. Et parfois, il y a des jeux mythiques, surréalistes. Ces buts en «overtime » dans un 7e match de série, c’est dur à battre. Parfois, ça vient d’un jeu banal, d’un presque accident, mais d’autres fois c’est purement et essentiellement épique et j’en ai déjà à l’esprit. Et ces « arrêts clés »: un but certain s’annonce, le gardien n’a plus de chance, le but est pratiquement ouvert et d’un bout du bâton, du bout de la jambière, étiré au max, en déséquilibre, le geste garroché qui va dévier ou arrêter le cataclysme, refuser la fin d’une saison et permettre une victoire à l’arrachée.


On peut bien en « scrapper » des lampes de salon au Québec, on s’en fout.

J’étais au CEGEP lors de la série du siècle, 1972, Canada-Russie. Vous vous renseignerez (NETFLIX a un bon documentaire, Summit on Ice). Le reste du monde n’a probablement eu aucune conscience de tout cela, mais ceux qui l’ont vécu s’en souviennent. J’ai rencontré des fans qui avaient fait le voyage en Russie pour les parties là-bas, un exploit en soi à cette époque de la guerre froide (on l’oublie). L’après-midi (heure du Québec) de la partie finale, qui allait décider de tout, je peux vous assurer qu’à la troisième période, tout le monde était devant une télé ou à coté d’une radio. Personne ne travaillait. Pas de cours au CEGEP, tout le monde suivait le match où il pouvait, tout mélangé, les profs, les concierges, les directeurs, les étudiants, empilés un peu partout. Aucun congé n’avait été autorisé, les gens avaient juste tout arrêté, un climat de fin du monde. C’était serré, mais après un retour dans la série, après s’être fait décimer par les russes sur les patinoires canadiennes devant leurs fans, l’équipe canadienne avait trouvé une détermination et une solidarité qui venait des tréfonds et, francophones ou anglophones, de descendance italienne ou british, toutes leurs trippes étaient dans le jeu. Vraiment un sommet. Malgré tout ça, ils allaient perdre. Mais un but pouvait faire la différence.

À 34 secondes de la fin (!!), Paul Henderson, un joueur peu reconnu mais un vrai hockeyeur jusqu’au fond de l’âme, réussit à battre le gardien russe, Vladimir Tretiak, titanesque, de plein droit un monument du hockey international (et un vrai russe, disons-le). Henderson réussit, par pure détermination je dirais, à la suite d’efforts tout aussi remarquables d’Yvan Cournoyer et de Phil Esposito (qui a probablement été le meilleur des siens dans cette série).

J’étais dans une salle commune de la résidence du CEGEP, assis par terre dans une mer de monde bigarrée. Un seul battement de cœur, une seule conscience aurait-on dit, connecté, soudé dans une intensité que je n’ai jamais revue depuis, nulle part. Puis ce but, mais comme pressenti, inévitable, ordonné de l’au-delà, le destin. Comment expliquer ? Nous étions tous, tous, sans exceptions, derrière le bâton d’Henderson, poussant sur ses patins, dans ses jambes le relevant de sa chute derrière le but. Il était nous, nous étions lui. C’était lumineux. Et puis, oui, ce but. L’explosion nucléaire, debout, dans les bras de n’importe qui, hurlant, pleurant, heureux, accompli. All is right with the world ! This is our game ! This is still our game !

Je sais, c’est indéfendable. Mais ça situe peut-être un peu ce que le hockey peut être pour ces psychopathes que nous sommes. Et je crois que lorsque quelqu’un se fait gagner par ce jeu, qu’il soit américain, russe, tchèque, caucasien, noir, amérindien, il entre dans un autre monde. Un intérêt et une préoccupation commune le relie à la communauté du hockey, notre communauté, oserais-je dire, telle une confrérie monastique. Sérieux.

Donc, Corey Crawford, le gardien des Black Hawks, finalistes de l’ouest pour la coupe Stanley 2015, est interrogé le jour du premier match contre le Lightning de Tampa Bay, équipe respectable s’il en est. Et le voilà qui répond pendant 15 minutes aux questions des journalistes. Des américains, des canadiens anglais, des européens (slovaques, polonais, tchèques, russes (bien sûr), suisses, norvégiens, suédois, danois, finlandais, allemands …) et … des québécois. Car, on sait dans cette communauté, que le Québec existe. Étrange, mais c’est vrai.

Et Corey se fait demander ce qu’il pense de la série. Jeune il est déjà un gardien expérimenté, a déjà fait les séries, à gagné une coupe Stanley (2013). On lui demande d’où lui est venu cet intérêt pour le hockey : Patrick Roy. Corey vient de Montréal, Qc. Né en 1984, il a été fans des Canadiens dans une partie intéressante de leur histoire, suivant une période mythique (les années ’70 avec Lafleur, Cournoyer, Savard, Lapointe, …). Il a connu les confrontations Canadiens-Nordiques, le « but d’Alain Coté », le « Tigre » Bergeron, Lemaire, le froid calculateur qui livrait la marchandise. Etc.

Et on lui demande ce qu’il pense des déclarations faites sur les deux gardiens qui vont s’affronter, lui et Bishop. On lui demande en français, au milieu de cette mer indifférenciée de propos anglophones, la langue internationale qu’utiliseront les journalistes russes, allemands ou suédois. … et voilà Corey qui sort son français, immanquablement québécois, pour répondre en pleine diffusion internationale, sans gêne ni excuses, au journaliste francophone.

Scuzez, mais comment faire mieux. Ça dit tout.

On s’interroge, comme le souligne assidument (et justement) Matthieu Bock-Coté, sur notre identité et notre place, dans le monde et dans l’histoire. Sur la façon de l’assumer et de la manifester. Pourtant, tout est là, sans dilution, sans effets idiots, sans pathos, net fret sec, au complet. Serait-ce de la maturité ? Aurions-nous finalement résolu la quadrature du cercle, toutes ces longues années après 1760, un abandon cruel (un fait), une défaite qui n’en était pas une, une résilience frappante et reconnue (Toynbee), une inventivité et une créativité notable, une audace paradoxale qui émerge sans crier gare de dessous un effacement et un sens de l’autocritique dévastateur. Corey Crawford est anglophone, certes, mais il a vécu parmi nous et a eu des copains québécois et il sait qui nous sommes. Surtout il sait que nous sommes. Et il choisi de nous répondre dans notre langue, devant tous, alors qu’il avait toutes les excuses pour ne pas prendre la question ou y répondre en anglais, ce qui aurait été acceptable dans les circonstances, avouons-le.

Merci Corey. On va s’en souvenir.

Franc Laplante

PS : Et, je te la souhaite la Coupe !...


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