vendredi 17 octobre 2014

La fin de la récréation ...

Par Franc Laplante
2014-10-17


Vous savez sans doute que George Gershwin, reconnu aujourd’hui comme un compositeur classique respectable, faisait partie d’une écurie de compositeurs, paroles et musiques, qui ont nourri les « musicals », tant sur scène qu’au cinéma. Ce sont les artisans de ce qu’on nomme le « Great American Songbook », qui comprend un nombre impressionnant de standards repris encore aujourd’hui par les grands de la musique populaire ou du jazz en particulier.

Parmi les autres membres de ce panthéon on connait son frère Ira Gershwin, Irving Berlin, Rodgers, Hart, Hammerstein, Cole Porter, Jerome Kern, beaucoup d’autres.

Je regardais dernièrement un film de ce catalogue en écoutant les commentaires de deux spécialistes, dont un qui avait vécu cette époque, à partir des années ’30. Le commentaire a dû être enregistré au début des années ’90. Le plus âgé faisait donc cette remarque : « You were born too late ! Life was good in those times. »

En particulier, il discutait d’une partie de l’histoire qui présentait les 2 acteurs principaux, jouant d’ailleurs le rôle de vedettes de l’époque, au milieu d’un milieu privilégié, des passagers d’un paquebot transatlantique. Il semble que les grands noms d’Hollywood, autant ceux devant que derrière la caméra, vivaient réellement ainsi, se baladant entre des engagements artistiques en Europe et en Amérique, dans la quiétude et le luxe. La crise des années ’30 ravageait l’occident à ce moment et pour eux, il ne s’agissait que de gros titres dans les journaux. Leur mode de vie n’en était pas du tout affecté.

Les Gerhswin auraient été payés au-delà de 100 000$ pour la musique d’un film à cette époque (4 ou 5 chansons principales, une dizaine d’arrangements accessoires pour les transitions), probablement 3 semaines de composition et 1 mois de répétitions et enregistrements. Dans les belles années, les compositeurs populaires pouvait obtenir 2 ou 3 contrats de ce type annuellement. À ce moment, le milieu des années ‘30, on pouvait bâtir ou acquérir une brillante propriété près d’Hollywood pour moins de 10 000$. Le reste de leur temps, au moins la moitié de l’année comptez bien, ils le passaient avec les copains, des compétiteurs dans une certaine mesure, des alliés parfois. Mais, lorsqu’on faisait parti des noms en vogue, il y avait plus à gagner qu’à perdre à maintenir de bonnes relations avec tous les gens significatifs du milieu. Je ne crois pas que ça ait changé.

Citizen Kane, le film d’Orson Welles, était une personnification de William Randolph Hearst, magna de la presse et personnage influent du milieu artistique. Sa propriété mythique, San Simeon ou Hearst Castle en Californie, était le lieu de rencontre régulier de cette faune du show bizz, des intellos. Hearst a hébergé, pour son plaisir et celui de ses hôtes, les gens les plus divers, les grands noms. Il a donné beaucoup, il a influencé beaucoup, il a fait naître et pâlir bien des carrières et ça lui plaisait. Tous ces échanges de bons procédés durèrent en fait jusqu’en 1937, essentiellement. Par la suite, une réorganisation de son empire, un effet retardé de la crise de ’29, le laissa dépendant beaucoup plus que maître de son destin. Son influence décru évidemment, et le panthéon dû trouver une autre « cour », ou continuer sa récréation.

Car, il fallait continuer la récréation. Les compositeurs, eux, étaient réputés pour leurs parties de poker continuelles sur les patios, sur le bord de leurs piscines privées ou pour leurs sorties aux courses de chevaux. Bref, le genre de divertissement dans lequel la classe dominante à toujours choisi de passer l’essentiel de son temps. Comme si la récréation n’avait jamais de fin.

Or, pas besoin d’examiner l’histoire de façon approfondie, la récréation a toujours eu une fin. Celles de la cour des Tsars ou celles de Versailles. Celles des patriciens romains ou des élites grecques, celles des privilégiés de la nomenklatura, celles des proches de Guy Cloutier. Qu’arrivera-t-il à la bande à Guy A., à l’intelligentsia du Plateau ou à celle du Village, de New York ou de Montréal ? Car, dans les conversations on parle de nos carrières, de nos fonctions, de nos défis, de nos projets / créations / réalisations, on prétend, on affirme qu’on travaille !

On travaille pour qui ? On produit quoi, qui change quoi pour qui ?

Dans les manifestations récentes, mais qu’on a déjà oublié, celles des (prétendus) représentants du 99%, les « Occupy Wall Street » qui devaient mettre un terme au pouvoir de l’argent, qui reprenaient comme un mantra les propos de leurs harangueurs, comment ne pouvait-on pas réaliser que ce peuple indigné faisait allègrement parti des privilégiés, au moins en termes planétaires, et qu’ils ne faisait que poursuivre la récréation oiseuse de tous ses prédécesseurs, serviles et futiles.

Ouch !

Et on s’est réjoui, dans cette foule, supportée par tous les caniches à la mode, de l’élection du champion de la plèbe, Saint Obama. Avant qu’il arrive, le peuple américain, ses riches et ses pauvres (pauvres surtout …), avait sur le dos une dette correspondant à 36% du PIB. L’économie, tout le panthéon le chantait, était en ruine. Avant qu’il parte en 2016, la dette américaine officielle dépassera 90% du PIB ! Wall Street se roule à terre !! Et si quelqu’un peut sonner la fin de la récréation … Mais voilà, pour eux ce sera des gros titres sans plus. Et le panthéon trouvera bien moyen de s’inviter à la récréation des exploiteurs, il faut bien le dire, en échange de 2 ou 3 chansonnettes, un pas de danse et une bonne blague. C’est vous qui payez la facture, j'espère que vous le savez …

« Life is good ! »













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